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Les Jeudis en poésie


Torquato Tasso

Pour le jeudi en poésie

Blog en pause, article programmé

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Le poète est un fou perdu dans l'aventure,
Qui rêve sans repos de combats anciens, 
De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens, 
Puis chante pour soi-même et la race future.

Plus tard, indifférent aux soucis qu'il endure, 
Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens, 
Il se prend en les lacs d'amours patriciens, 
Et son prénom est comme une arrhe de torture.

Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit,
Extasié le jour, halluciné la nuit
Ou réciproquement, jusqu'à ce qu'il en meure !

Armide, Éléonore, ô songe, ô vérité !
Et voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure
Et pour ressusciter dans l'immortalité !

 

Paul VERLAINE   (1844-1896)

 


30/10/2014
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Roses d'automne

Jeudi en poésie des Croqueurs de mots

Capitaine Dimdamdom

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Photo internet

enlevée...avec regret :-) à la première demande de son auteur.

 

Aux branches que l’air rouille et que le gel mordore,
Comme par un prodige inouï du soleil,
Avec plus de langueur et plus de charme encore,
Les roses du parterre ouvrent leur coeur vermeil.

 

Dans sa corbeille d’or, août cueillit les dernières :
Les pétales de pourpre ont jonché le gazon.
Mais voici que, soudain, les touffes printanières
Embaument les matins de l’arrière-saison.

 

Les bosquets sont ravis, le ciel même s’étonne
De voir, sur le rosier qui ne veut pas mourir,
Malgré le vent, la pluie et le givre d’automne,
Les boutons, tout gonflés d’un sang rouge, fleurir.

 

En ces fleurs que le soir mélancolique étale,
C’est l’âme des printemps fanés qui, pour un jour,
Remonte, et de corolle en corolle s’exhale,
Comme soupirs de rêve et sourires d’amour.

 

Tardives floraisons du jardin qui décline,
Vous avez la douceur exquise et le parfum
Des anciens souvenirs, si doux, malgré l’épine
De l’illusion morte et du bonheur défunt.

 

Nérée Beauchemin ( 1850-1931)


23/10/2014
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LE TRÉSOR ET LES DEUX HOMMES

        Le jeudi en poésie des Croqueurs de Mots

                 Commandant "Dimdamdom"

             au  rapport !

 


 

 

 

   Un Homme n'ayant plus ni crédit, ni ressource,
               Et logeant le Diable en sa bourse,
               C'est-à-dire, n'y logeant rien,
               S'imagina qu'il ferait bien
De se pendre, et finir lui-même sa misère ;
Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire,
               Genre de mort qui ne duit  pas
À gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention, une vieille masure
Fut la scène où devait se passer l'aventure.
Il y porte une corde, et veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attacher le licou.
              La muraille, vieille et peu forte,
S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
Notre désespéré le ramasse, et l'emporte,
Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,
Sans compter : ronde ou non, la somme plut au sire.
Tandis que le galant  à grands pas se retire,
L'homme au trésor arrive, et trouve son argent
                                  Absent.
Quoi, dit-il, sans mourir je perdrai cette somme ?
Je ne me pendrai pas ? Et vraiment si ferai,
Ou de corde je manquerai.
Le lacs était tout prêt ; il n'y manquait qu'un homme :
Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau .
               Ce qui le consola peut-être
Fut qu'un autre eût pour lui fait les frais du cordeau.
Aussi bien que l'argent le licou  trouva maître.

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs :
Il a le moins de part au trésor qu'il enserre ,
               Thésaurisant pour les voleurs,
               Pour ses parents, ou pour la terre.
Mais que dire du troc que la Fortune fit ?
Ce sont là de ses traits ; elle s'en divertit.
Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
               Cette Déesse inconstante
               Se mit alors en l'esprit
               De voir un homme se pendre ;
               Et celui qui se pendit
               S'y devait le moins attendre.

 

Fable, Jean de La Fontaine, 
Livre IX, fable 16

 


16/10/2014
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A LA LOUSIANE

les Jeudis en poésie

 

des Croqueurs de Mots

 

Sous l'azur enflammé le vieux Mississipi
Fume. - Il est midi. - Les tortues
Dorment. Le caïman aux mâchoires pointues
Bâille, dans le sable accroupi.

Les cloches ont sonné le breakfast dans la plaine ;
Et l'on n'aperçoit plus, là-bas,
Dans les cannes à sucre et dans les verts tabacs,
Les nègres aux cheveux de laine.

Tandis que sur les champs où gisent les paniers
Des noirs étendus dans leurs cases,
Le soleil tombe droit et dessèche les vases
Nourricières des bananiers,

Chez Jefferson and Co, dont le coton, par balles,
Gorge Le Havre et Manchester,
On siffle le petit Africain Jupiter,
Un rejeton de cannibales !

Jupiter, négrillon vorace et somnolent,
Qui chérit l'éclat blanc du linge,
Un large éventail jaune entre ses doigts de singe,
S'avance d'un pas indolent.

Or, préférant, selon toutes les conjectures,
La cuisine à la véranda,
Il évente, rêveur, sa maîtresse Tilda,
En digérant des confitures.

Et, cependant qu'il suit de son gros oeil d'émail
Les zigzags sans fin d'une mouche,
L'ivoire de ses dents brille au bord de sa bouche,
Entre deux croissants de corail.

Un jour discret emplit la véranda tranquille,
Filtré par les feuillages verts ;
Les stores de rotin au hasard entr' ouverts
Laissent passer des fleurs par mille.

Nul bruit. - L'éventail bat l'air tiède et parfumé
Avec un soupir monotone ;
Un griffon de Cuba, muet, se pelotonne
Ou s'étire, ingrat trop aimé !

Deux splendides aras, de leur perchoir d'ébène
Lancent, assoupis, des clins d'yeux
Sur l'enfant noir, objet de leur secrète haine,
Et sur le Havanais soyeux.

Un macaque chéri, jeune mais blasé, grave
Comme au Sénat le Président,
Crève, plein d'insolence, et du bout de la dent,
La peau jaune d'une goyave.

Au-dehors les crapauds se taisent dans les joncs
Mystérieux des marécages.
Les moqueurs alanguis ont cessé dans leurs cages
De contrefaire les pigeons.

Miss Tilda Jefferson, une enfant paresseuse,
Paresseuse créolement,
Abandonne son corps au tangage charmant
Et doux de sa large berceuse ;

Elle est pâle, très pâle, avec des cheveux bruns,
Dans son peignoir de mousseline.
On voit à la blancheur de l'ongle à sa racine
Que son sang noble est pur d'emprunts.

Le balancin de canne où miss Tilda repose
Obéit à son poids léger ;
La chère créature au doux nom étranger
A l'oreille porte une rose.

Sa suivante Euphrasie, en madras jaune et bleu,
Aux grosses lèvres incarnates,
Rit, sans savoir pourquoi, dans un coin, sur les nattes,
Humant sa cigarette en feu.

Miss Tilda Jefferson fait la sieste ; elle rêve ;
Elle pense à son doux ami ;
Ses admirables yeux sont fermés à demi
Son nègre l'évente sans trêve.

L'oeil clos, miss Tilda suit Davis Brooks, son amant,
Sur les houles de l'Atlantique,
Tandis que Jupiter, harcelé d'un moustique,
La contemple piteusement.

Elle voit son Davis, tête hâlée et fière,
Sur le pont du schooner " The Fly ",
Qui fume, accoudé sur l'habitacle poli,
En casquette à longue visière ;

Le schooner roule et tangue, et ses mâts gracieux
Jettent leur ombre sur les lames,
Et l'ombre des huniers, des espars et des flammes...
Davis Brooks paraît soucieux.

Miss Jefferson sourit - (le fin navire lofe
Et s'éloigne), - ses doigts mignons
S'agitent faiblement, délicats compagnons
Du sein qui tremble sous l'étoffe.

Ainsi, sur l'Océan, où croise son amour,
La blanche miss Tilda s'égare,
A laquelle ce soir, en brûlant un cigare,
Trente planteurs feront leur cour.

Mais, hélas ! insensible à tant de poésie,
Jupiter pousse un cri plaintif,
Et dans son coin obscur, toujours sans nul motif,
Rit la mulâtresse Euphrasie.

Autour d'eux le chien blanc, les perroquets pourprés
Et le singe roux, tout sommeille ;
Le vent qui passe apporte, avec un bruit d'abeille,
L'odeur des ananas dorés.

 

Ernest d' HERVILLY   (1839-1911)


09/10/2014
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La chance

Le jeudi en poésie des Croqueurs à la barre Martine ...

en lui souhaitant bonne chance !

Article programmé

 

Image du Blog nathou.centerblog.net
Source : nathou.centerblog.net sur centerblog." />

En tes rêves, en tes pensées, 
En ta main souple, en ton bras fort, 
En chaque élan tenace où s'exerce ton corps 
La chance active est ramassée.


Dis, la sens-tu, prête à bondir 
Jusques au bout de ton désir ? 
La sens-tu qui t'attend, et te guette et s'entête 
A éprouver quand même, et toujours, et encor 
Pour ton courage et pour ton réconfort 
Le sort ?


Ceux qui confient aux flots et leurs biens et leurs vies 
N'ignorent pas qu'elle dévie 
De tout chemin trop régulier ; 
Ils se gardent de la lier 
Avec des liens trop durs au mât de leur fortune ; 
Ils savent tous que, pareille à la lune, 
Elle s'éclaire et s'obscurcit à tout moment 
Et qu'il faut en aimer la joie et le tourment.



En tes rêves, en tes pensées, 
En ta main souple, en ton bras fort, 
En chaque élan tenace où s'exerce ton corps 
La chance active est ramassée.



Et tu l'aimes d'autant qu'elle est risque et danger, 
Que balançant l'espoir comme un levier léger 
Elle va, vient et court au long d'un fil qui danse. 
Il n'importe que le calcul et la prudence 
Te soient chemins plus sûrs pour approcher du but. 
Tu veux l'effort ardent qui ne biffe et n'exclut 
Aucune affre crédule au seuil de la victoire 
Et tu nourris ainsi comme malgré toi 
Ce qui demeure encor de ton ancienne foi 
En ton vieux coeur contradictoire.



La chance est comme un bond qui s'ajoute à l'élan 
Et soudain le redresse au moment qu'il s'affaisse. 
Elle règne au delà, de la stricte sagesse 
Et de l'ordre précis, minutieux et lent. 
Elle est force légère et sa présence allie 
On ne sait quelle intense et subtile folie 
Au travail ponctuel et chercheur des cerveaux. 
Elle indique d'un coup le miracle nouveau. 
Les hommes que la gloire aux clairs destins convie 
Ont tous, gràce à son aide, incendié leur vie 
De la flamme volante et rouge des exploits. 
Ils ont crié que la fortune était leur droit 
Et l'ont crié si fort qu'ils ont fini par croire 
Qu'ils tenaient l'aile immense et blanche des victoires 
Sous les poings rabattus de leur ténacité. 
Oh ! dis, que n'auraient-ils réussi ou tenté 
En notre âge d'orgueil, de force et de vertige 
Où le monde travaille à son propre prodige ?


En ta main souple, en ton bras fort, 
En chaque élan tenace où s'exerce ton corps, 
En tes rêves, en tes pensées, 
La chance active est ramassée.

 

Émile VERHAEREN


02/10/2014
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